Mon nouveau recueil en prose vient d’être édité aux Editions Unicité : « Des jours sans eux ». La préface est de Marlen Sauvage.
Préface
La poésie de Rose-Marie Mattiani, c’est de l’émotion à vif, loin de tout pathos ; c’est par le biais d’une langue ciselée, le partage sans fard des maux que réserve la vie et du remède pour les conjurer, l’écriture… « On m’a donné un langage en forme de poussière. Depuis : j’émiette. » A travers le regard singulier qu’elle porte sur les Jours sans eux se dessine quelque chose de l’absence telle que chacun peut l’avoir vécue, quand nous quittent les êtres aimés ou mal aimés, une douleur issue du tréfonds de soi que réveille une société abîmée, malade, souffrante. Dans ce kaléidoscope où se juxtaposent le particulier et l’universel, l’entier et le désossé, l’éphémère et le permanent, Rose-Marie Mattiani nous invite à l’optimisme et à célébrer la vie dans ce qu’elle a de plus charnel. Dans la musique de ses mots, qu’elle dédie à tous ses lecteurs dans une Prière sensible, chacun entend sa propre musique et aux yeux de la poétesse se substituent les nôtres. C’est la grâce de cette poésie qui ne réclame rien, ne revendique rien ; une poésie du constat qui creuse un sillon où chacun peut mettre ses pas. Avec les réminiscences de la poétesse, notre mémoire engloutie ressurgit, celle des maux de l’âme et du corps, mis en mots sans pudeur mais avec une lucidité pétrie d’humanité, d’attention à soi et aux autres que Rose-Marie Mattiani a côtoyés durant des années, elle qui accompagna dans sa pratique d’ateliers d’écriture des personnes en grande souffrance psychique et physique.
Des jours sans eux qui donne son titre au recueil rassemble des textes où elle joue subtilement avec le langage, et l’on ne peut que saluer l’ordonnancement des mots et des phrases, les silences de la ponctuation ou sa présence rare, l’adéquation poétique entre la pensée et la forme. Cette première partie se lit comme une histoire contée au fil des pages, la fin d’un poème entraînant le poème suivant… Et se noue ainsi une connivence entre elle et ses lecteurs.
Dans son premier poème, la poétesse donne la clé de lecture de tout ce qui suit. « Je rejoins la solitude ailée d’une lucidité translucide. » D’où lui vient cette langue, ce qui travaille en elle et depuis quand, cette nécessité d’écrire « où s’emmêlent vocables et lettres disloqués des fêlures du souffle » … et la ruse pour déjouer les pièges de ce qui se refuse puis s’avance en pleine lumière pour se refuser encore… « Les mots ne suffiront jamais à ramener à moi tous les plis. »
Vaine entreprise que Rose-Marie Mattiani poursuit pourtant dans L’être l’os, une descente aux enfers de la solitude extrême, quand le corps vous trahit dans ses os, sa charpente, et que le redressement s’opère d’abord en soi bien avant tout bistouri, parce que la différence aiguise votre regard, votre présence au monde, votre humanité. L’être l’os nous rappelle que nous sommes chair et esprit, dans ces épreuves sombres que la maladie inflige ou que la nature dispense en toute inégalité. A la fragilité du corps, à ses déplacements, à ses biais, à la contrainte de « l’écorce-corset », Rose-Marie Mattiani oppose la volupté des mots, la légèreté et la force de la pensée, l’audace de la poésie. Marlen Sauvage
La solitude ailée
Je rejoins la solitude ailée d’une lucidité translucide.
Avec mes pauvres mots
J’écris contre les tremblements
J’en fais des leurres à névés et de nerveux œdèmes.
Mes chambres closes emplies de feuilles mortes
tissent des mots dans la gelure de leur absence.
J’étais vieille déjà alors que les roses me tombaient des mains.
Je ne pouvais les retenir, ébauchant la forme de mon langage
sur un bureau d’écolier dont les pieds posés sur la terre
s’ancrent aujourd’hui profond dans le sol.
On m’a donné un langage en forme de poussière.
Depuis : j’émiette.
Sous la lumière tutélaire des jours sans eux, je crée des copeaux.
Comment composer mots et phrases après eux ?
Tout en rusant avec ma propre nécessité d’écrire,
J’enveloppe mon poème dans un suaire éclairé par une lampe qui vacille.
Lumière est pénombre est lumière.
La résonance du silence suspendu au vide révèle la présence des feuilles.
Mes yeux sont dépouillés de regard ; les mots ne suffisent pas.
Les mots ne suffiront jamais à ramener à moi tous les plis.
Rien ne console, rien ne rafistole.
Parce que je ne trouve pas le mot qui dirait, voilà, déterrés, les mots de toutes prières.
En route pour lutter contre l’obscur face aux aubes grises.
En vie
Ma chevelure a repoussé.
Ongles sourcils pilosité ;
sur mes joues un duvet neuf donne à ma peau une lueur de primate.
Depuis longtemps feux sont mes saints.
Mes seins creusés par l’exérèse chirurgicale
concluent leur dérive asymétrique
opération de décapage du désencombrement.
Telle l’écriture : en secouer les adverbes.
Au bout de mes seins
s’accroche une chair absoute
graciée de tumeurs
une caresse à la rage mutine
peau brûlée ouvrant à l’infini des possibles.
Mes glandes d’une clandestinité de cavité
ont les ruses d’une chair au goût de vivre
– l’enthousiasme toujours
malgré la rudesse du chaos.
Au nodule nulle tendresse
n’évide le cœur au temps du reconstruire,
Les lèvres ourlées d’un poème
gravé dans chaque millimètre carré de chair,
Les lèvres ouvertes sur un appétit de vivre intact
jusqu’au bout des os enchantent l’Éros.
Amour : ombre inutile
Des années durant,
un temps déterminé par tant de phrases molles,
on a partagé un lit, creusant un mitan perpétuel.
Infranchissable fossé : chenal définitif.
Trancher au plus vif de la chair ; en séparer les moindres fractions.
Des oreillers d’abîme bâillonnaient nos ruines.
Guerre : partout.
Écroulement inévitable,
Amour emprunté au déclin,
Ruines du délabrement.
Décombres : anéantissement littéral.
Conforme à une faim d’amour infini amour de fin infirme.
Amour : ombre inutile.
Mal des racines, arbre saturé par le vent, déraciné de lui-même, expatrié de l’amour.
Amour : ombre inutile
Le dérisoire paît à présent dans cet immense aujourd’hui
où règne le grand calme
des brins de racines poussent dans une flore secrète
sécrétant les mots d’une bouche d’ombre.