Le caillou choisi
« Objets inanimés, avez-vous donc une âme Qui s’attache à notre âme et la force d’aimer ? »[1]
Le caillou choisi, élu parmi les autres, magique.
Mon choix oscillait entre le caillou à la forme parfaite, ronde, dénuée d’aspérités, de couleur sombre et homogène. Le galet noir sculpté par la force du courant, élu joyau parmi les alluvions de la rivière. Tombé de je ne savais quelle planète pour l’enfant que j’étais ̶ nattes longues et chaussettes blanches sur des jambes maigres qui n’en finissaient plus.
J’hésitais entre ce galet noir prétendument tombé du ciel et la pierre dont la brillance s’ouvrait sur des éclats d’argent : le caillou pierre précieuse, bijou sauvage dans ses aspérités, aux arêtes vives coupantes par endroits, qu’il me fallait retirer de ma poche avec délicatesse afin de ne pas me blesser ; du moins le croyais-je. En accentuer le danger accroissait son prestige.
Dans la poche droite, la rondeur ténébreuse, dans la gauche, la brillance du mica.
Les deux auréolés de pouvoirs. Le rond, rassurant, vite réchauffé dans la main, facile à manipuler, auquel sa brillante réactivée par la salive donnait l’air d’avoir été vernis, rendu beau dans l’humide. Dans la bouche comme dans la paume de la main, sa rondeur avait une suavité enveloppante et sensuelle.
L’attrait du mica aux éclats d’argent était moins charnel. D’un contact peu sensuel, sa contemplation seule me ravissait. Présenté aux rayons du soleil, il en captait l’énergie dont il restituait la brillance, la nuit, dans le secret de ma chambre d’enfant.
Tel un trésor posé à côté de mon oreiller alors que le galet noir ne quittait pas les entrailles de ma poche la plus profonde, les deux cailloux m’accompagnèrent de leur présence tellurique et solaire autant d’années que nécessaires ; jusqu’à ce que je sois entrée en adolescence, où des figures plus animées en détournèrent mon attention.
R-M Mattiani, 24.01.2015
[1] Alphonse de Lamartine, Harmonies poétiques et religieuses, Livre troisième II. Milly ou la terre natale.
Prière
Aux condamnés à la mutité
Aux candides
Aux épuisés
Aux enclins au doute perpétuel
Aux dépositaires émouvants
A ceux qui sont pleins de larmes
A ceux qui cherchent leurs mots
A ceux qui préfèrent les éviter
A ceux qui ânonnent des paroles obscures
A ceux dont l’enfance n’est que lambeaux
A ceux qui déplient leur froissement d’âme en forme d’ailes
A ceux qui tombent et se relèvent
A ceux qui roulant dans la poussière en sortent grandis
A ceux qui sont sortis vivants de l’enfer
A ceux qui bandent encore parmi les ruines
A ceux dont l’unique œil- nombril voit tout en noir
A ceux qui vivent dans un épuisement consenti
A ceux aux archives vacillantes préférées stables
A ceux qui ont perdu le goût de thésauriser
A ceux quittant le circuit social de la domestication
A ceux pour qui la solitude est référente
Aux centenaires nostalgiques
A ceux qui ont renoncé aux jugements d’autrui
A ceux dont les ventres brillent dans la nuit comme ceux des vers luisants
Aux vivants la sensation d’être des miraculés
Aux corps de vieilles branches qui ont le rire enfantin
A ceux dont la faculté d’émerveillement reste intacte
A ceux éclairés par leur ombre
A celui qui se surnomme « le vieil Ulysse »[1]
A celui qui put dire à la fin de sa vie
« je sais mieux ce que je sais »[2]
Aux humbles mortels.
R-M Mattiani, 12.2014
[1] Georges-Emmanuel Clancier
[2] Henri Matisse
amour : ombre inutile
des années durant un temps déterminé temps de phrases molles
on a partagé un lit creusant un mitan perpétuel fossé infranchissable fossé : chenal définitif
trancher au plus vif de la chair en séparer les moindres fractions
des oreillers d’abîme étouffaient les ruines guerre : partout
écroulement inévitable amour affecté au déclin ruine du délabrement
décombres : anéantissement littéral
conforme à une faim d’amour infinie un amour de fin infime
amour : ombre inutile
mal aux racines arbre saturé par le vent déraciné de lui-même expatrié de l’amour
amour : ombre inutile
la mémoire paît maintenant dans cet immense aujourd’hui où règne le grand calme
des brins de racines poussent dans une flore secrète sécrétant les mots d’une bouche d’ombre.
Merci pour votre commentaire… que mes textes soient lus est déjà énorme.
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A celles qui montrent leur beauté d’entre les pierres et les guerres…
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Merci Pascal, oui, à celles-ci et également à tous les autres… A bientôt !
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