Textes d’ateliers

Les participants des ateliers écrivent pour le plaisir, lisent, échangent et repartent avec leurs textes que nous avons plaisir à découvrir et dont nous n’entendons ensuite plus parler. Quelquefois, en fin d’année, un recueil de textes est réalisé mais ce n’est pas systématique. Cette rubrique réunira des textes issus des différents ateliers que j’anime et que chacun voudra bien partager…

Atelier du 12 septembre à Argeles :

Autour de « Je me souviens » de Perec : établir une liste de souvenirs liés à une rentrée scolaire. Puis s’emparer d’un souvenir et développer d’avantage…

 

Maria

Madame Brunet installe Maria à côté de moi en classe. Maria arrive d’Espagne et ne parle pas français. Madame Brunet me dit qu’en tant que bonne élève je dois aider Maria et bien prendre soin d’elle. D’emblée, je la déteste. J’aurai voulu être un cancre placé au fond de la classe, responsable de l’arrosage des plantes ou de la cage du lapin plutôt que de devoir m’occuper de cette crâneuse. Maria est fière. Maria a deux yeux noirs et de très longs cheveux tressés en deux nattes. Les vêtements raccommodés de Maria sont démodés et ses mains souvent tachées. Après l’école Maria aide son père employé dans une ferme. Maria ramasse du raisin, des plants de tabac et s’occupe des vaches qu’elle rentre le soir à l’étable. Maria est une vraie tigresse ; elle insulte en espagnol dans la cour et se bat avec les garçons. Maria me fait honte. Maria me fusille du regard. Maria me fait un peu peur. Maria a une haleine qui sent l’ail. L’odeur de Maria me répugne. En classe j’obéis à Madame Brunet mais dès la sortie j’ignore Maria. Je l’abandonne pour rejoindre mes camarades françaises propres et plus intéressantes. Je voudrais que Maria disparaisse et avec elle tous ceux qui ne parlent pas ma langue et portent des habits démodés ou rapiécés. Je le dis un jour à table à mon père. Il a levé la main sur moi, l’a baissée puis il me raconte. Il me raconte ses pantalons trop courts, son veston rapiécé, la raie sur le côté avec la gomina dans ses cheveux dont ses camarades se moquent, sa mère qui l’accompagne à l’école et lui fait honte, ses mots en italien. Il me raconte comment il a été placé au fond de la salle où il s’est débrouillé seul. Puis il me dit que Maria a de la chance de m’avoir et que j’ai de la chance d’avoir Maria. Puis sans me demander mon avis il l’invite à la maison. Forcée d’avoir un autre regard sur Maria, ses yeux noirs s’éclaircissent. Maria m’invite après l’école et sa mère nous sert à goûter. À moi elle donne du pain et du chocolat et à Maria, du pain frotté avec de l’ail et de la tomate arrosé d’huile d’olives. Nous goûtons sur l’escalier face à l’étable. Je fais réciter à Maria ses conjugaisons puis nous allons rentrer les vaches ensemble. Peu à peu nous devenons amies. Mais un jour le père de Maria, qui joue au tiercé, gagne le gros lot et emmène sa famille habiter un appartement plus confortable dans une immeuble neuf. Maria ne sent plus l’ail car elle sort de ma vie. Madame Brunet place à côté de moi Florence, une nouvelle. Florence est une jolie blonde toujours bien coiffée et habillée qui sent le parfum de sa mère. Florence répond toujours la première aux questions de Madame Brunet et dit que mon eau de Cologne sent mauvais. Florence me déteste parce que mon père est ouvrier à l’usine et qu’il est naturalisé Français. Le père de Florence est contremaître. Le mien parle avec les mains. Florence me dit que je devrai en avoir honte. Une vraie pimbêche, cette Florence ; sa gifle, elle ne l’a pas volée. Rose-Marie Mattiani, Argelès, 12.09.2017

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